Montaigle
– Château fort.
Chronologie
historique et petite synthèse de la littérature existante.
Epoques
et occupation du site.
Situées dans la
province de Namur, sur le territoire de l'actuelle commune de Onhaye,
les ruines de la forteresse médiévale de Montaigle s'élèvent
gaillardement au-dessus du confluent de la Molignée et du Flavion et
semblent tout droit sorties d'une légende du Moyen-Age.
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Les ruines du château de Montaigle au début du printemps - Photo : Erdan |
Fièrement dressé
sur son éperon rocheux, surplombant les alentours et les deux
rivières dont
les eaux mêlées vont rejoindre celles de la Meuse en aval de la localité d'Anhée, l'ancien château fort ne
manque ni de grandeur ni de beauté. La beauté du site, cependant, a
probablement moins compté aux yeux des populations passées que les
possibilités de défense naturelle qu'il proposait.
Les
ruines de la forteresse médiévale occupent le sommet d'un massif
calcaire orienté d'est en ouest. Des découvertes archéologiques
faites sur place attestent de la présence humaine sur le site dès
l'âge de Fer soit cinq siècles avant notre ère. Le
site connaît dès le Bas-Empire, une première fortification
belgo-romaine de type éperon barré.
La
forteresse médiévale proprement dite fut édifiée au début du
XIVème siècle par Guy de Namur, de la famille Dampierre, régent de
Flandre et l'une des figures marquantes de la célèbre bataille des
Eperons d'Or (juillet 1302) que les Français appellent bataille de
Courtrai.
Les
recherches archéologiques menées sur le plateau de Montaigle par la
Direction des Fouilles du Ministère de la Région wallonne en 1992
ont permis de mettre au jour quantité de céramiques de l'âge du
Fer (vers 450 avant J.-C.). Mais c'est surtout à la fin de l'époque
romaine que s'affirme la vocation défensive du site, lorsque les
régions situées au nord de l'ancienne Gaule traversent une période
de grande instabilité.
A
partir du milieu du IIIème siècle, l'Empire romain traverse une
crise profonde qui ébranle ses structures politiques, économiques
et sociales. Les régions de l'actuelle Belgique sont de plus en plus
convoitées par les Germains contenus depuis trois siècles de
l'autre côté de la frontière naturelle du Rhin (le limes, voir
encadré).
Face
à cette menace de déstabilisation, l'administration romaine tente
de réagir en organisant la défense du territoire. Vers les années
260, les armées installent à la hâte des postes de garnison dans
tout le bassin mosan. Ces postes, qui tiennent parfois lieu de refuge
pour les civils, sont établis le long des principales voies de
communication et dans des vallées où se rencontrent des rochers du
type de l'éperon barré.
C'est
le cas de Montaigle. L'administration romaine y installe une petite
garnison dont la présence n'est pas continue mais varie au gré de
l'importance des menaces. Dès le début du IVe siècle, un mur
d'enceinte, large de 2 mètres, délimite un espace de près de 3.400
m² au sommet du massif calcaire et à partir des années 370, un
contingent important, composé surtout de volontaires originaires de
Germanie (Lètes), occupe la forteresse avec femmes et enfants. Ils y
vivent dans des cabanes en bois et torchis selon les coutumes de leur
pays d'origine.
Les plus habiles d'entre eux occupent leurs loisirs à fabriquer des
boucles de ceinture, des poignées d'épée, des poinçons et
d'autres accessoires que plusieurs campagnes de fouilles ont permis
de mettre au jour.
Ce régime d'occupation militaire semble
cesser peu après 450 et le site est alors abandonné pour quatre
siècles ; un cimetière mérovingien datant des VIe-VIIe siècles
découvert en 1886 à Foy, hameau tout proche, sur le versant nord de
la Molignée, juste en face de Montaigle, semble indiquer un
déplacement de l'habitat vers la vallée.
Quand
Montaigle s'appelait Faing.
Vers
900, un château est érigé au sommet du puissant rocher. Il ne
subsiste que quelques traces de cette construction initiale, dont un
mur qui reprend le tracé d'un autre construit à l'époque
gallo-romaine. Ceux qui l'occupent appartiennent vraisemblablement au
proche entourage des premiers comtes de Namur ; ils assument en outre
la charge d'avoués de l'abbaye bénédictine de Waulsort. Ce sont
les seigneurs de Faing, dont le nom, apparu pour la première fois
sur un document officiel en 1050, est aussi celui de la terre et du
château de Montaigle jusqu'au début du XIVe siècle.
Au
début du XIIe siècle la seigneurie, tombe en déshérence et Pierre
de Courtenay, comte de Namur, la cède en fief à Gilles de
Berlaymont. Celui-ci y fait bâtir une tour carrée, un donjon, à la
pointe du rocher. L'espace fortifié se réduit alors à la moitié
de ce qu'il était au Bas-Empire.
L'apanage
d'un cadet de famille.
En
1298, Guy de Dampierre, comte de Flandre et marquis de Namur, rachète
la terre de Faing et sa demeure castrale pour les céder en apanage à
un fils cadet née d'un second mariage, Guy de Flandre appelé aussi
Guy de Namur. Ce dernier y édifie un château dont on peut encore
retrouver des vestiges dans les ruines actuelles.
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Armoiries des comtes de Namur - IXème siècle - 1795 |
La
nouvelle construction est avant tout conçue comme un lieu de
résidence au centre d'un domaine foncier assez important ; son rôle
militaire est secondaire, mais son aspect n'en demeure pas moins
puissant. Elle se compose de trois parties distinctes. Au pied du
château, dans la plaine : la basse-cour abritant granges, écuries
et prairies; au sommet du rocher : le corps de logis, puissamment
défendu par une tour ronde; à un niveau intermédiaire : la cour
regroupant les communs et le puits.
Profond
de 33 mètres, ce dernier capture une source qui sourd à faible
distance du Flavion : tout le cuvelage intérieur en est maçonné;
seul le fond est taillé dans la roche. Quant au château proprement
dit, malgré la configuration irrégulière du terrain, il adopte un
plan symétrique éprouvé sous Philippe-Auguste : toutes ses tours -
ouvertes à la gorge et maintenues aux époques suivantes - sont
placées à égale distance les unes des autres. C'est peut-être
dans l'une de celles-ci que Guy de Namur installe la chapelle dont
l'autorisation de fondation lui est accordée par une bulle du pape
Clément V donnée à Carpentras le 6 juillet 1310.
L'Histoire
garde le souvenir de ce Guy de Namur. Régent de Flandre pendant la
captivité de son père, il fut l'un des organisateurs des "Mâtines de Bruges" contre les Français en 1302 et engagea, à ce titre, contre le puissant
roi de France Philippe IV le Bel, la célèbre Bataille des Éperons
d'Or, en juillet de la même année, épisode emblématique de la lutte de la Flandre pour son indépendance, que les Français appelèrent la Bataille de Courtrai. Deux jours après le combat, il désigne son
chastel de Faing comme prison possible pour une douzaine de
chevaliers français dont il s'est emparé en même temps que du
château de Courtrai au terme de la bataille.
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Bataille des Eperons d'or - 11 juillet 1302 - Source : Anonyme |
Le
prince se fiança à Marguerite de Lorraine en mars 1311 mais décéda
quelques mois plus tard sans qu'il puisse être établi que cette
union fût jamais consommée. Quoiqu'il en soit, le contrat de
mariage, conclu à Sierck-sur-Moselle, stipule que le douaire de la
future épouse se
trouve entre autres constitué du "chastel de Fainges, com dist
de Montaigle" : c'est la plus ancienne mention qui établisse un
lien entre Faing et Montaigle.
Le
siège d'un bailliage. Au
décès de Marguerite de Lorraine survenu à une date incertaine mais
postérieure au 25 septembre 1349, Montaigle, est légué à
Guillaume 1er et entre dès ce moment-là dans les possessions
directes des comtes de Namur. C'est à cette époque que la
forteresse devient le siège d'un bailliage, district administratif
dont la gestion est confiée à de hauts fonctionnaires portant les
titres de bailli, châtelain et chairier ou receveur.
Les
aménagements apportés au château portent alors essentiellement sur
l'extension de la cour avec la création d'une terrasse retenue par
une nouvelle courtine ponctuée de 3 tours ouvertes à la gorge.
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Les ruines de Montaigle sous les lumières du crépuscule - Photo : Erdan |
Des
remaniements en profondeur.
En
1421, désargenté et couvert de dettes, Jean III vend le comté de
Namur à Philippe le Bon, duc de Bourgogne qui en prend possession
huit ans plus tard. Jeanne d'Harcourt, la veuve de Guillaume II,
avant-dernier représentant à Namur de la famille des Dampierre, est
toutefois reconnue dans ses droits sur la terre de Montaigle jusqu'à
sa mort survenue à Béthune en 1456.
Les
transformations qui sont entreprises dans cette première moitié du
XVème siècle changent radicalement la physionomie du château. Le
caractère résidentiel est cette fois nettement affirmé au
détriment de l'aspect défensif.
Montaigle
s'embrase !
A
la mort de Jeanne d'Harcourt, en 1456, la terre de Montaigle, nous
l'avons noté, est entrée dans les possessions de la Maison de
Bourgogne, comme l'avait déjà fait le reste du comté de Namur dès
1429. Le château n'est alors plus qu'une modeste forteresse confinée
dans son rôle de chef-lieu de bailliage et gardée par une vingtaine
d'hommes d'armes.
Sous
Charles Quint, la frontière entre les Pays-Bas méridionaux et la
France forme une zone névralgique, ce qui se traduit concrètement
par une politique militaire ambitieuse. On assiste bientôt à la
création de villes bastionnées. A cette ligne de défense, on
essaie, autant que faire se peut, d'intégrer les anciens châteaux.
Proches de Montaigle, ceux de Bouvignes, de Dinant, d'Agimont et de
Château-Thierry sont progressivement adaptés pour pouvoir résister
aux ravages occasionnés par une artillerie de plus en plus puissante
et efficace. Montaigle échappe à ces adaptations. Seul un
boulevard, ou plate-forme à canon, avait été établi au pied du
château dans la seconde moitié du XVème siècle. La cause majeure
du déclassement de la vieille forteresse tient dans sa position
géographique : ne contrôlant aucune voie de passage stratégique
sur la ligne de défense que Charles Quint tente de mettre en place,
elle ne peut même pas servir d'appui aux châteaux mosans.
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Château de Montaigle - Photo : Wiki - Jean-Pol Grandmont |
Au
commencement de l'été 1554, le roi de France Henri II, décidé à
mener une opération dévastatrice dans le comté de Namur, emprunte
la route de la Meuse. Semant la misère sur leur passage, ses troupes
ne rencontrent aucune résistance sérieuse. Les places-fortes
tombent les unes après les autres et les moins rapides à céder
sont traitées avec la plus extrême rigueur. Il en est ainsi de
Bouvignes et de bien d'autres lieux. Vers la mi-juillet, quelques
soudards, placés sous les ordres de François de Clèves, duc de
Nevers, sont chargés de la démolition "du Chasteau de Disnant
et de tous les autres petits forts de l'environ". Montaigle fait
partie du lot. Abandonnée par sa garnison qui a reçu l'ordre de se
replier sur Namur, la vieille forteresse subit un pillage en règle
et l'ardeur d'un incendie qui ne la détruit cependant pas
complètement. En décidant de ne pas la reconstruire, les autorités
confirment implicitement le peu d'intérêt stratégique qu'elle
offre encore à leurs yeux...
Le
retour de l'ancien portier est signalé en 1556 et l'année suivante,
le receveur du bailliage paie un serrurier pour y placer un verrou.
Des traces de réaménagements - nouveau dallage, four à chaux et
four à pain notamment - ont été observés par endroits et divers
objets des XVIe et XVIIe siècles sont exhumés. Parmi ceux-ci,
citons deux belles assiettes en étain, des pièces de monnaie, de
nombreux tessons de poterie et un fragment de péreau, sorte de bac
en céramique dans lequel on faisait fondre la cire pour filer les
bougies et dont la belle face est ornée du millésime 1612.
Les
derniers siècles d'Ancien Régime.
D'un
point de vue administratif, Montaigle reste toutefois le centre du
bailliage du même nom jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Du moins
officiellement puisque dans la pratique, le bailli tient désormais
séance au village voisin de Falaën. Dans un des célèbres albums
du duc de Croÿ exécutés autour de 1600, Adrien de Montigny
représente la silhouette d'un édifice bel et bien ruiné et
abandonné, mais les archives comme les investigations archéologiques
témoignent cependant d'une réoccupation précaire de l'endroit.
Du
domaine public à la propriété privée.
Le
1er octobre 1795, le territoire du comté de Namur est annexé à la
France en même temps que celui des autres principautés formant ce
que l'on a coutume d'appeler les Pays-Bas méridionaux. Héritière
du gouvernement autrichien, la République française donne l'ancien
domaine militaire de Montaigle en location à un cultivateur du
hameau voisin avant de le vendre comme bien national à un bourgeois
de Dinant qui le revend à son tour par lots successifs. Le
10 juillet 1827, les ruines et leur assise rocheuse échoient ainsi à
Césaire Colette Flavie du Rot (1790-1865), veuve van den Bogaerde,
une gantoise qui se fait construire un pavillon de style troubadour
dans l'enceinte du vieux château et y séjourne plusieurs étés.
Mais le voisinage, pour sa part, ne voit dans les ruines qu'une
carrière commode ouverte à tous. Des matériaux y sont
régulièrement prélevés pour être remployés dans la construction
des habitations de la vallée. Lassée par tant de pillages que la
Justice se montre incapable d'empêcher plus encore que de
sanctionner, la propriétaire finit par se débarrasser de son bien
au profit du comte de Beauffort, premier président de la Commission
royale des Monuments (1854). Sa veuve en cède elle-même la
propriété à Emmanuel del Marmol établi depuis peu dans le nouveau
château de Montaigle, en compagnie de son frère cadet, Eugène,
président de la Société archéologique de Namur (1865). Tous deux
entreprennent un long et patient remembrement qui leur permet à peu
de chose près de rassembler en une seule propriété le territoire
de l'ancien domaine militaire. A l'heure actuelle, les Ruines sont
toujours dans les mains de leur descendance.
L'époque
romantique.
Amplifiée
par les Anglais à l'époque romantique, la mode du tourisme amène
quantité d'artistes et de poètes dans le vallon de Montaigle. Le
caractère désolé et solitaire de la ruine convient bien à leurs
âmes voyageuses et mélancoliques. Nombreux sont alors les peintres,
les dessinateurs ou les graveurs qui représentent Montaigle dans
l'une ou l'autre de leurs créations ; les gens de lettre ne manquent
pas d'en décrire le charme sauvage en des pages mémorables, tandis
que les pionniers de la photographie d'art déposent leurs lourdsappareils
dans les prairies avoisinantes. L'époque
romantique est aussi celui d'un engouement profond pour l'étude du
passé. Des sociétés archéologiques se créent un peu partout et
celle de Namur donne à Montaigle son archéologue et son historien :
Alfred Bequet (1826-1912), président de la Société Archéologique de Namur et membre de la Société d'Anthropologie de Bruxelles.
Ce dernier, né à Namur, fit ses études au collège de Rheims et suivit à Paris les cours d'égyptologie de Raoul-Rochette et de Frédéric Ozanam, qui eurent sur sa vocation une influence prépondérante. Becquet se spécialisa rapidement dans l'histoire de sa province natale. Il fît plusieurs voyages en Italie pour confronter les vestiges de la Rome antique avec ceux découverts dans le Namurois. Il consacra, par la suite, des études très fouillées dans tous les sens du terme à de nombreux sites archéologiques de la province de Namur et reconstitua l'histoire de plusieurs grandes demeures féodales, parmi lesquelles Samson, Waulsort, Poilvache et Montaigle. Il entreprend en effet d'écrire l'histoire de la forteresse et confie à
Jean Godelaine (1839-1905), D'Jean d'au Montaigle comme on l'appelle
dans le pays, le soin de
fouiller, dans la vallée de la Molignée, plusieurs sites
d'inhumation de l'époque gallo-romaine ou franque, avant qu'ils ne
soient irrémédiablement perturbés par la construction de la voie
ferrée reliant Yvoir à Tamines. Alfred Bequet est notamment l'auteur d'un livre consacré au château de Montaigle édité à Namur en 1901 par les éditions Westmael-Charlier.
L'accroissement
du nombre de visiteurs du site de Montaigle, lié à la démocratisation des loisirs,
entraîne dès la fin du siècle une modification dans la
représentation et la description des ruines. Cartes postales et
guides touristiques prennent le relais des tableaux, des
lithographies et des pages d'anthologie de la période précédente,
sans atténuer le caractère hautement romantique d'un site qui
disparaît insensiblement sous la végétation...
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Château de Montaigle : Bas des murailles et fondations de l'édifice - Photo : Erdan. |
Conservation
et entretien.
Dès
1965, préoccupés par l'état critique de ces beaux vestiges
classés, des bénévoles ont offert leur aide au propriétaire afin
de sauvegarder et de mettre en valeur les ruines et leur site
exceptionnel : ainsi est née l'association "Les Amis de
Montaigle" dont l'initiative a notamment abouti à la mise au
point d'une nouvelle technique de consolidation recourant à la
projection de micro-béton.
La
conservation et la mise en valeur de ces ruines romantiques
bénéficient entre autres de l'aide de la Région Wallonne. Les ruines de Montaigle sont inscrites sur la liste du Patrimoine de Wallonie.
Le
Musée archéologique (maquettes, poteries, cuillères, dés à
jouer, carreaux d'arbalète, etc...) illustre la vie quotidienne au
Moyen Age.