jeudi 27 mars 2014

Bernache du Canada – Branta Canadensis.

Ordres des Ansériformes.
Famille des Anatidés.

Nom usuel ou vernaculaire : Bernache du Canada en Europe, outarde ou oie sauvage au Québec.


La bernache du Canada dans toute sa splendeur - Photo : Erdan
Observations et petite synthèse de la littérature existante.
Espèce d'oie originaire d'Amérique du Nord introduite en Europe à ne pas confondre avec la Bernache nonnette à la taille nettement plus petite, au dessin blanc différent sur la tête, au dessus gris foncé et au dessous blanchâtre. Parmi les bernaches, la Canada est la plus grosse espèce représentée en Europe. Elle mesure environ 1 mètre, présente un corps gris-brun et une gorge et des joues blanches. Le bec et les pattes sont noires. C'est une espèce d'oiseau aquatique introduite en Angleterre dès le XVIIème siècle comme oiseau d'agrément. C'est ensuite à des fins cynégétiques que s'est poursuivie son introduction à travers toute la Grande-Bretagne, puis dans de nombreux pays d'Europe tout au long du XXème siècle.
Haute Meuse dinantaise - Couple de bernaches du Canada - Photo : Erdan
Habitat et migration.

Les zones humides constituent les habitats de cette bernache d'origine allochtone. La bernache du Canada vit dans les zones herbeuses, les paysages variés et la toundra arctique. En période hivernale, elle se mêle à des troupes d'autres bernaches comme la bernache nonnette. Une partie de la population scandinave est migratrice. Les aires d'hivernage sont situées en Allemagne, en Pologne et au Danemark.

Les populations nicheuses françaises se situent surtout dans le Nord de la France. Elles sont également très abondantes en Belgique où on peut régulièrement les observer dans les prairies et le long des cours d'eau bien dégagés. Beaucoup d'individus se sont sédentarisés. Lors de la migration, la bernache du Canada vole en grands groupes en forme de V, ou diagonalement, mais en ligne droite. Elle est généralement bruyante en vol. 

Régime alimentaire.

Le régime de la bernache du Canada est végétarien : elle se nourrit principalement d'une grande variété d'herbes, de plantes aquatiques, de laiches, de graines de céréales, de graminées et de baies. A l'instar de ses cousins les canards, la bernache du Canada appartient à l'espèce des oiseaux dits «barboteurs». On peut, en effet, fréquemment les observer le croupion à l'air et la tête sous l'eau en quête de nourriture.

Chant.

La bernache du Canada est très bruyante, spécialement en vol. Elle peut émettre au moins une dizaine de cris différents.




Nidification et reproduction.

Les bernaches du Canada se trouvent un compagnon ou une compagne (pour s’accoupler) au cours de la deuxième année de sa vie.

Elles construisent souvent leur nid sur le sol, près de l'eau, de préférence sur un îlot (exemple : l'île de Moniat dans la Haute Meuse dinantaise). Il est fait d'une couche plus ou moins épaisse de brindilles et d'autres matières végétales trouvées dans les environs et il est aussi tapissé de duvet. La couvée compte habituellement de cinq à sept œufs, les oiseaux plus âgés ont une couvée plus importante que ceux qui pondent pour la première fois.

La femelle couve ses œufs de 25 à 28 jours, tandis que son compagnon assure la garde à proximité. Parfois, le mâle se tient à plusieurs centaines de mètres du nid, mais il est toujours vigilant et retourne au nid dès que celui-ci est menacé ou si la femelle doit s’en éloigner. Pendant la période de couvaison, la femelle ne quitte le nid chaque jour que pendant de brefs moments, pour aller se nourrir, boire et se laver.

Peu de temps après l’éclosion des œufs, les familles quittent leur nid et parcourent parfois plusieurs kilomètres en quelques jours en marchant pour atteindre leur site d’élevage des couvées. Dès qu’ils quittent le nid, les oisons se nourrissent de graminée et de carex (plantes croissant dans les lieux humides) dans les prés et le long des rivages. Six à neuf semaines après l’éclosion, selon les cas, les oiseaux seront prêts à s’envoler en famille. À ce moment-là, il n'y aura environ que la moitié des oisons qui auront survécu. Un couple de bernaches restera ensemble pour la vie. Cependant, contrairement à la croyance populaire, si un des partenaires est tué, il est possible que l’autre se trouve un nouveau compagnon. En automne, les oiseaux juvéniles volent avec leurs parents et ne s'en séparent qu'à leur retour dans la zone de nidification, le printemps suivant.

Dangers et menaces auxquels est soumise la bernache du Canada : 

«Branta canadensis» est la bernache la plus abondante au monde. Les populations férales (*) européennes proviennent de l'introduction à titre esthétique en Grand-Bretagne au XVIIIe siècle et cynégétique en Suède dans la première moitié du XXème siècle. Il n'y a pas de menaces particulières sur l'espèce qui est en expansion sur le continent.

Plusieurs animaux font des œufs et des jeunes bernaches leurs proies. Dans le Grand Nord, le principal prédateur est le renard arctique. Il peut voler tous les œufs de plusieurs nids et les cacher pour les manger en période de disette. Les mouettes et les goélands, les labbes, les renards roux, les corbeaux et parfois les ours sont aussi des prédateurs. La bernache du Canada produit des sons en ê-haouc.


Haute Meuse dinantaise - Bernaches du Canada à la parade - Photo : Erdan
Le revers de la médaille ou le moins bon côté des choses....

Espèces férales - petit rappel.

On désigne sous le nom d'espèces férales, des espèces animales étrangères qui, après s'être échappées des parcs ou des cages par lesquels elles avaient été introduites, se sont acclimatées et se reproduisent sur leur nouveau territoire. Pour les oiseaux on peut citer la Bernache du Canada et la Bernache nonnette, l'érismature rousse.... La présence de ces espèces pose rapidement divers problèmes, le plus souvent parce que ces espèces entrent en compétition pour des niches occupées dans un premier temps par des espèces indigènes. En Scandinavie, par exemple, la bernache du Canada pose problème au regard des oies cendrées. Quelques fois, l'éradication de certaines espèces est décidée, compte tenu des conséquences importantes sur les écosystèmes et les biotopes des espèces locales.

Citons, outre la bernache du Canada, quelques-unes des espèces férales d'oiseaux parmi les plus communément signalées : la Bernache nonnette originaire des régions de l'Arctique et l'érismature rousse, canard originaire de l'Ouest canadien et considéré comme invasif en Grande-Bretagne.


Espèce migratrice au sein de son aire d'origine, l'Amérique du Nord, la bernache du Canada est plutôt sédentaire en Europe. Sa longévité (jusque 24 ans), la très bonne réussite de sa reproduction, sa grande adaptabilité, la présence de biotopes favorables à son développement, ont contribué au succès de son implantation. À l'heure actuelle, sa population européenne est estimée à environ 160.000 individus dont environ 50 % en Grande-Bretagne. Sa reproduction est effective dans dix-sept pays (B, NL, L, F, D, IT, DK...) et sa population est en augmentation.



Sa présence a de nombreuses conséquences néfastes pour l'homme : pollution des eaux de baignade, réduction des productions fourragères, dégradation des prairies ou des espaces verts, transmission potentielle de maladies à l'homme, sécurité aérienne ou encore impact sur la flore et les autres espèces d'oiseaux (compétition avec les espèces autochtones, hybridations).


Le 15 janvier 2009, un vol de bernaches du Canada aurait heurté le vol 1549 de la compagnie US Airways, le contraignant à amerrir sur le fleuve Hudson sans, heureusement que l'on ait à déplorer de victimes. Ces oiseaux ont un poids situé entre 2,6 et 4,8 kilogrammes. Or les réacteurs de cet avion avaient été construits de manière à pouvoir résister à un choc direct avec un oiseau d'un poids maximal de 1,8 kilogramme.

Hudson River - 15 janvier 2009 
Dans les associations internationales comme l'EAWA (Accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie), elle figure en deuxième position dans la liste des espèces ayant le plus d'impacts sur le fonctionnement des écosystèmes en Europe, et pour le programme DAISIE (Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe) elle appartient à l'une des cent espèces (dans l'ensemble des espèces animales, végétales ou fongiques) réputées les plus préoccupantes d'un point de vue environnemental, sanitaire, social et économique en Europe.

Des campagnes de régulation et d'éradication ont été réalisées ces dernières années dans divers pays européens. En France, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), les Fédérations départementales des chasseurs (FDC) et la Fédération nationale des chasseurs (FNC) s'impliquent depuis 2008 dans le suivi des espèces allochtones invasives et ont réalisé une enquête sur la population des Bernaches du Canada sur l'ensemble du territoire français. Des actions de régulation ont été entreprises dans certaines régions. L'article conclut que pour avoir un impact efficace sur la bernache, il est nécessaire d'avoir une approche stratégique globale, portant à la fois sur la maîtrise de la dispersion des populations et sur l'éradication des noyaux reproducteurs. L'article préconise un choix adapté de plusieurs méthodes combinées en fonction de la situation. [N.P.]

En France, La Bernache du Canada est classée nuisible selon l'arrêté du 8 juillet 2013 (JO du 14 juillet) pour une période allant jusqu'au 30 juin 2014 et est désormais chassable du 15 août au 1er mars. .

Nous recommandons l'excellent site édité par la Région Wallonne à toutes personnes intéressées par ces matières : http//:biodiversité.wallonie.be. De l'info, des photos.... que du bonheur...


lundi 24 mars 2014

Val de Meuse - les ruines de Montaigle

Montaigle – Château fort.

Chronologie historique et petite synthèse de la littérature existante.

Epoques et occupation du site.

Situées dans la province de Namur, sur le territoire de l'actuelle commune de Onhaye, les ruines de la forteresse médiévale de Montaigle s'élèvent gaillardement au-dessus du confluent de la Molignée et du Flavion et semblent tout droit sorties d'une légende du Moyen-Age.


Les ruines du château  de Montaigle au début du printemps - Photo : Erdan
Fièrement dressé sur son éperon rocheux, surplombant les alentours et les deux rivières dont les eaux mêlées vont rejoindre celles de la Meuse en aval de la localité d'Anhée, l'ancien château fort ne manque ni de grandeur ni de beauté. La beauté du site, cependant, a probablement moins compté aux yeux des populations passées que les possibilités de défense naturelle qu'il proposait.

Les ruines de la forteresse médiévale occupent le sommet d'un massif calcaire orienté d'est en ouest. Des découvertes archéologiques faites sur place attestent de la présence humaine sur le site dès l'âge de Fer soit cinq siècles avant notre ère. Le site connaît dès le Bas-Empire, une première fortification belgo-romaine de type éperon barré.

La forteresse médiévale proprement dite fut édifiée au début du XIVème siècle par Guy de Namur, de la famille Dampierre, régent de Flandre et l'une des figures marquantes de la célèbre bataille des Eperons d'Or (juillet 1302) que les Français appellent bataille de Courtrai.

Les recherches archéologiques menées sur le plateau de Montaigle par la Direction des Fouilles du Ministère de la Région wallonne en 1992 ont permis de mettre au jour quantité de céramiques de l'âge du Fer (vers 450 avant J.-C.). Mais c'est surtout à la fin de l'époque romaine que s'affirme la vocation défensive du site, lorsque les régions situées au nord de l'ancienne Gaule traversent une période de grande instabilité.

A partir du milieu du IIIème siècle, l'Empire romain traverse une crise profonde qui ébranle ses structures politiques, économiques et sociales. Les régions de l'actuelle Belgique sont de plus en plus convoitées par les Germains contenus depuis trois siècles de l'autre côté de la frontière naturelle du Rhin (le limes, voir encadré).

Face à cette menace de déstabilisation, l'administration romaine tente de réagir en organisant la défense du territoire. Vers les années 260, les armées installent à la hâte des postes de garnison dans tout le bassin mosan. Ces postes, qui tiennent parfois lieu de refuge pour les civils, sont établis le long des principales voies de communication et dans des vallées où se rencontrent des rochers du type de l'éperon barré.

C'est le cas de Montaigle. L'administration romaine y installe une petite garnison dont la présence n'est pas continue mais varie au gré de l'importance des menaces. Dès le début du IVe siècle, un mur d'enceinte, large de 2 mètres, délimite un espace de près de 3.400 m² au sommet du massif calcaire et à partir des années 370, un contingent important, composé surtout de volontaires originaires de Germanie (Lètes), occupe la forteresse avec femmes et enfants. Ils y vivent dans des cabanes en bois et torchis selon les coutumes de leur pays d'origine. Les plus habiles d'entre eux occupent leurs loisirs à fabriquer des boucles de ceinture, des poignées d'épée, des poinçons et d'autres accessoires que plusieurs campagnes de fouilles ont permis de mettre au jour.

Ce régime d'occupation militaire semble cesser peu après 450 et le site est alors abandonné pour quatre siècles ; un cimetière mérovingien datant des VIe-VIIe siècles découvert en 1886 à Foy, hameau tout proche, sur le versant nord de la Molignée, juste en face de Montaigle, semble indiquer un déplacement de l'habitat vers la vallée.

Quand Montaigle s'appelait Faing.

Vers 900, un château est érigé au sommet du puissant rocher. Il ne subsiste que quelques traces de cette construction initiale, dont un mur qui reprend le tracé d'un autre construit à l'époque gallo-romaine. Ceux qui l'occupent appartiennent vraisemblablement au proche entourage des premiers comtes de Namur ; ils assument en outre la charge d'avoués de l'abbaye bénédictine de Waulsort. Ce sont les seigneurs de Faing, dont le nom, apparu pour la première fois sur un document officiel en 1050, est aussi celui de la terre et du château de Montaigle jusqu'au début du XIVe siècle.

Au début du XIIe siècle la seigneurie, tombe en déshérence et Pierre de Courtenay, comte de Namur, la cède en fief à Gilles de Berlaymont. Celui-ci y fait bâtir une tour carrée, un donjon, à la pointe du rocher. L'espace fortifié se réduit alors à la moitié de ce qu'il était au Bas-Empire.

L'apanage d'un cadet de famille.

En 1298, Guy de Dampierre, comte de Flandre et marquis de Namur, rachète la terre de Faing et sa demeure castrale pour les céder en apanage à un fils cadet née d'un second mariage, Guy de Flandre appelé aussi Guy de Namur. Ce dernier y édifie un château dont on peut encore retrouver des vestiges dans les ruines actuelles.
Armoiries des comtes de Namur - IXème siècle - 1795

La nouvelle construction est avant tout conçue comme un lieu de résidence au centre d'un domaine foncier assez important ; son rôle militaire est secondaire, mais son aspect n'en demeure pas moins puissant. Elle se compose de trois parties distinctes. Au pied du château, dans la plaine : la basse-cour abritant granges, écuries et prairies; au sommet du rocher : le corps de logis, puissamment défendu par une tour ronde; à un niveau intermédiaire : la cour regroupant les communs et le puits.

Profond de 33 mètres, ce dernier capture une source qui sourd à faible distance du Flavion : tout le cuvelage intérieur en est maçonné; seul le fond est taillé dans la roche. Quant au château proprement dit, malgré la configuration irrégulière du terrain, il adopte un plan symétrique éprouvé sous Philippe-Auguste : toutes ses tours - ouvertes à la gorge et maintenues aux époques suivantes - sont placées à égale distance les unes des autres. C'est peut-être dans l'une de celles-ci que Guy de Namur installe la chapelle dont l'autorisation de fondation lui est accordée par une bulle du pape Clément V donnée à Carpentras le 6 juillet 1310.

L'Histoire garde le souvenir de ce Guy de Namur. Régent de Flandre pendant la captivité de son père, il fut l'un des organisateurs des "Mâtines de Bruges" contre les Français en 1302 et engagea, à ce titre, contre le puissant roi de France Philippe IV le Bel, la célèbre Bataille des Éperons d'Or, en juillet de la même année, épisode emblématique de la lutte de la Flandre pour son indépendance, que les Français appelèrent la Bataille de Courtrai. Deux jours après le combat, il désigne son chastel de Faing comme prison possible pour une douzaine de chevaliers français dont il s'est emparé en même temps que du château de Courtrai au terme de la bataille.


File:Battle of Courtrai2.jpg
Bataille des Eperons d'or - 11 juillet 1302 - Source : Anonyme
Le prince se fiança à Marguerite de Lorraine en mars 1311 mais décéda quelques mois plus tard sans qu'il puisse être établi que cette union fût jamais consommée. Quoiqu'il en soit, le contrat de mariage, conclu à Sierck-sur-Moselle, stipule que le douaire de la future épouse se trouve entre autres constitué du "chastel de Fainges, com dist de Montaigle" : c'est la plus ancienne mention qui établisse un lien entre Faing et Montaigle.

Le siège d'un bailliage. Au décès de Marguerite de Lorraine survenu à une date incertaine mais postérieure au 25 septembre 1349, Montaigle, est légué à Guillaume 1er et entre dès ce moment-là dans les possessions directes des comtes de Namur. C'est à cette époque que la forteresse devient le siège d'un bailliage, district administratif dont la gestion est confiée à de hauts fonctionnaires portant les titres de bailli, châtelain et chairier ou receveur.

Les aménagements apportés au château portent alors essentiellement sur l'extension de la cour avec la création d'une terrasse retenue par une nouvelle courtine ponctuée de 3 tours ouvertes à la gorge.

Les ruines de Montaigle sous les lumières du crépuscule - Photo : Erdan

Des remaniements en profondeur.

En 1421, désargenté et couvert de dettes, Jean III vend le comté de Namur à Philippe le Bon, duc de Bourgogne qui en prend possession huit ans plus tard. Jeanne d'Harcourt, la veuve de Guillaume II, avant-dernier représentant à Namur de la famille des Dampierre, est toutefois reconnue dans ses droits sur la terre de Montaigle jusqu'à sa mort survenue à Béthune en 1456.

Les transformations qui sont entreprises dans cette première moitié du XVème siècle changent radicalement la physionomie du château. Le caractère résidentiel est cette fois nettement affirmé au détriment de l'aspect défensif.

Montaigle s'embrase !

A la mort de Jeanne d'Harcourt, en 1456, la terre de Montaigle, nous l'avons noté, est entrée dans les possessions de la Maison de Bourgogne, comme l'avait déjà fait le reste du comté de Namur dès 1429. Le château n'est alors plus qu'une modeste forteresse confinée dans son rôle de chef-lieu de bailliage et gardée par une vingtaine d'hommes d'armes.

Sous Charles Quint, la frontière entre les Pays-Bas méridionaux et la France forme une zone névralgique, ce qui se traduit concrètement par une politique militaire ambitieuse. On assiste bientôt à la création de villes bastionnées. A cette ligne de défense, on essaie, autant que faire se peut, d'intégrer les anciens châteaux. Proches de Montaigle, ceux de Bouvignes, de Dinant, d'Agimont et de Château-Thierry sont progressivement adaptés pour pouvoir résister aux ravages occasionnés par une artillerie de plus en plus puissante et efficace. Montaigle échappe à ces adaptations. Seul un boulevard, ou plate-forme à canon, avait été établi au pied du château dans la seconde moitié du XVème siècle. La cause majeure du déclassement de la vieille forteresse tient dans sa position géographique : ne contrôlant aucune voie de passage stratégique sur la ligne de défense que Charles Quint tente de mettre en place, elle ne peut même pas servir d'appui aux châteaux mosans.

Château de Montaigle - Photo : Wiki - Jean-Pol Grandmont
Au commencement de l'été 1554, le roi de France Henri II, décidé à mener une opération dévastatrice dans le comté de Namur, emprunte la route de la Meuse. Semant la misère sur leur passage, ses troupes ne rencontrent aucune résistance sérieuse. Les places-fortes tombent les unes après les autres et les moins rapides à céder sont traitées avec la plus extrême rigueur. Il en est ainsi de Bouvignes et de bien d'autres lieux. Vers la mi-juillet, quelques soudards, placés sous les ordres de François de Clèves, duc de Nevers, sont chargés de la démolition "du Chasteau de Disnant et de tous les autres petits forts de l'environ". Montaigle fait partie du lot. Abandonnée par sa garnison qui a reçu l'ordre de se replier sur Namur, la vieille forteresse subit un pillage en règle et l'ardeur d'un incendie qui ne la détruit cependant pas complètement. En décidant de ne pas la reconstruire, les autorités confirment implicitement le peu d'intérêt stratégique qu'elle offre encore à leurs yeux...

Le retour de l'ancien portier est signalé en 1556 et l'année suivante, le receveur du bailliage paie un serrurier pour y placer un verrou. Des traces de réaménagements - nouveau dallage, four à chaux et four à pain notamment - ont été observés par endroits et divers objets des XVIe et XVIIe siècles sont exhumés. Parmi ceux-ci, citons deux belles assiettes en étain, des pièces de monnaie, de nombreux tessons de poterie et un fragment de péreau, sorte de bac en céramique dans lequel on faisait fondre la cire pour filer les bougies et dont la belle face est ornée du millésime 1612.

Les derniers siècles d'Ancien Régime.

D'un point de vue administratif, Montaigle reste toutefois le centre du bailliage du même nom jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Du moins officiellement puisque dans la pratique, le bailli tient désormais séance au village voisin de Falaën. Dans un des célèbres albums du duc de Croÿ exécutés autour de 1600, Adrien de Montigny représente la silhouette d'un édifice bel et bien ruiné et abandonné, mais les archives comme les investigations archéologiques témoignent cependant d'une réoccupation précaire de l'endroit.

Du domaine public à la propriété privée.

Le 1er octobre 1795, le territoire du comté de Namur est annexé à la France en même temps que celui des autres principautés formant ce que l'on a coutume d'appeler les Pays-Bas méridionaux. Héritière du gouvernement autrichien, la République française donne l'ancien domaine militaire de Montaigle en location à un cultivateur du hameau voisin avant de le vendre comme bien national à un bourgeois de Dinant qui le revend à son tour par lots successifs. Le 10 juillet 1827, les ruines et leur assise rocheuse échoient ainsi à Césaire Colette Flavie du Rot (1790-1865), veuve van den Bogaerde, une gantoise qui se fait construire un pavillon de style troubadour dans l'enceinte du vieux château et y séjourne plusieurs étés. Mais le voisinage, pour sa part, ne voit dans les ruines qu'une carrière commode ouverte à tous. Des matériaux y sont régulièrement prélevés pour être remployés dans la construction des habitations de la vallée. Lassée par tant de pillages que la Justice se montre incapable d'empêcher plus encore que de sanctionner, la propriétaire finit par se débarrasser de son bien au profit du comte de Beauffort, premier président de la Commission royale des Monuments (1854). Sa veuve en cède elle-même la propriété à Emmanuel del Marmol établi depuis peu dans le nouveau château de Montaigle, en compagnie de son frère cadet, Eugène, président de la Société archéologique de Namur (1865). Tous deux entreprennent un long et patient remembrement qui leur permet à peu de chose près de rassembler en une seule propriété le territoire de l'ancien domaine militaire. A l'heure actuelle, les Ruines sont toujours dans les mains de leur descendance.

L'époque romantique.

Amplifiée par les Anglais à l'époque romantique, la mode du tourisme amène quantité d'artistes et de poètes dans le vallon de Montaigle. Le caractère désolé et solitaire de la ruine convient bien à leurs âmes voyageuses et mélancoliques. Nombreux sont alors les peintres, les dessinateurs ou les graveurs qui représentent Montaigle dans l'une ou l'autre de leurs créations ; les gens de lettre ne manquent pas d'en décrire le charme sauvage en des pages mémorables, tandis que les pionniers de la photographie d'art déposent leurs lourdsappareils dans les prairies avoisinantes. L'époque romantique est aussi celui d'un engouement profond pour l'étude du passé. Des sociétés archéologiques se créent un peu partout et celle de Namur donne à Montaigle son archéologue et son historien : Alfred Bequet (1826-1912), président de la Société Archéologique de Namur et membre de la Société d'Anthropologie de Bruxelles. 

Ce dernier, né à Namur, fit ses études au collège de Rheims et suivit à Paris les cours d'égyptologie de Raoul-Rochette et de Frédéric Ozanam, qui eurent sur sa vocation une influence prépondérante. Becquet se spécialisa rapidement dans l'histoire de sa province natale. Il fît plusieurs voyages en Italie pour confronter les vestiges de la Rome antique avec ceux découverts dans le Namurois. Il consacra, par la suite, des études très fouillées dans tous les sens du terme à de nombreux sites archéologiques de la province de Namur et reconstitua l'histoire de plusieurs grandes demeures féodales, parmi lesquelles Samson, Waulsort, Poilvache et Montaigle. Il entreprend en effet d'écrire l'histoire de la forteresse et confie à Jean Godelaine (1839-1905), D'Jean d'au Montaigle comme on l'appelle dans le pays, le soin de fouiller, dans la vallée de la Molignée, plusieurs sites d'inhumation de l'époque gallo-romaine ou franque, avant qu'ils ne soient irrémédiablement perturbés par la construction de la voie ferrée reliant Yvoir à Tamines. Alfred Bequet est notamment l'auteur d'un livre consacré au château de Montaigle édité à Namur en 1901 par les éditions Westmael-Charlier.

L'accroissement du nombre de visiteurs du site de Montaigle, lié à la démocratisation des loisirs, entraîne dès la fin du siècle une modification dans la représentation et la description des ruines. Cartes postales et guides touristiques prennent le relais des tableaux, des lithographies et des pages d'anthologie de la période précédente, sans atténuer le caractère hautement romantique d'un site qui disparaît insensiblement sous la végétation...

Château de Montaigle : Bas des murailles et fondations de l'édifice - Photo : Erdan.
Conservation et entretien.

Dès 1965, préoccupés par l'état critique de ces beaux vestiges classés, des bénévoles ont offert leur aide au propriétaire afin de sauvegarder et de mettre en valeur les ruines et leur site exceptionnel : ainsi est née l'association "Les Amis de Montaigle" dont l'initiative a notamment abouti à la mise au point d'une nouvelle technique de consolidation recourant à la projection de micro-béton.

La conservation et la mise en valeur de ces ruines romantiques bénéficient entre autres de l'aide de la Région Wallonne. Les ruines de Montaigle sont inscrites sur la liste du Patrimoine de Wallonie.

Le Musée archéologique (maquettes, poteries, cuillères, dés à jouer, carreaux d'arbalète, etc...) illustre la vie quotidienne au Moyen Age.