mardi 17 juin 2014

Val de Meuse - Citadelle de Dinant

Haute Meuse dinantaise - La Citadelle de Dinant vue des rives de Neffe - Photo : Erdan
Et pour commencer, à tout seigneur tout honneur : La Citadelle de Dinant à la lumière de son histoire.


Armoiries de la ville de Dinant.
Histoire et chronologie :

Majestueuse et imposante sur son piton rocheux, la citadelle de Dinant qui, de loin, se présente comme l'avant d’un immense navire ancré au bord de l’eau, monte une garde immuable au-dessus de la cité qui s'étire le long de la Meuse. Surplombant le fleuve et la Collégiale Saint Perpète, la forteresse, présente dans la vallée depuis quasiment le début du deuxième millénaire de notre ère a, de tout temps, rassuré les populations des environs qui s'y réfugiaient, souvent avec leur bétail et quelques maigres biens, lors des guerres qui sévissaient fréquemment entre les divers seigneurs féodaux de la région.

Il est de coutume de penser que c'est au IVème siècle que Julien, élevé par Constance II à la dignité de César, édifia un castellum qui, en 588, fut cédé par Monulphe, évêque de Maestricht, à l'église de Tongres.

Aux 7ème et 8ème siècles, apparaissent les noms «Deunante» ou «Deonanti». Ces deux noms proviendraient - hypothèse la plus probable - du celtique «Divonanta», c’est-à-dire «vallée sacrée».

Depuis 840, date de la mort de Louis le Pieux et du partage de la Lotharingie entre le roi de France, Charles le Chauve, et son frère, Louis le Germanique, Dinant appartenait aux princes-évêques de Liège, tandis que Bouvignes, la cité voisine, était l’apanage du comte de Namur. 

Ce qui devint la citadelle de Dinant commença par un premier château-fort et une chapelle édifiés il y a plus de neuf siècles, en 1040 exactement, par Nithard, prince-évêque de Liège de 1037 à 1042.

Un peu plus tard dans le siècle, vers 1070-71, pour remercier l'Eglise de Liège de sa fidélité à son endroit lors de la difficile Querelle des Investitures épiscopales qui l'opposa au pape Grégoire VII, Henri IV, empereur du Saint Empire romain germanique, accorde - entre autres donations - à Théoduin de Bavière, évêque de Liège, le droit de relever les murailles du château-fort de Dinant. Il lui attribue également le marché de la localité, le droit de battre monnaie et de prélever le tonlieu soit la taxe perçue sur les marchandises lors de leur transport ou leur exposition dans les foires ou les marchés.

Armoiries de la Principauté de Liège.



Ce premier ensemble de fortifications a aujourd'hui totalement disparu, rasé en 1466 par le troupes de Charles le Téméraire. La situation particulière du bourg, à la frontière immédiate entre le pays de Liège et le comté de Namur, avait pour conséquence que Dinant était immédiatement concernée par les conflits liés aux limites territoriales entre ces deux entités, d’autant que la fabrication des ustensiles en cuivre - les fameuses dinanderies - nécessitait une terre réfractaire que les batteurs dinantais ne pouvaient trouver qu’à l’ouest de la Meuse, également en zone frontière, et le plus souvent loin en pays de Namur. Ces conflits quasi permanents vont s’exacerber au début du XVème siècle du fait des rivalités commerciales entre les villes de Dinant et de Bouvignes. Les deux villes mosanes, toutes proches l'une de l'autre et adversaires de tout temps aux plans économique et politique, connaissaient régulièrement des rixes, conflits et autres algarades survenant entre leurs populations respectives et furent, de ce fait, amenées à se fortifier et à s'entourer de remparts pour se protéger des incursions du voisin.
Les principaux conflits entre les deux villes ont lieu aux XIIIème et XIVème siècles : en 1277, la guerre dite «de la vache de Ciney» de 1293 au 1er septembre 1296 ; la guerre entre Namur et Liège, Guy de Dampierre, comte de Namur, ayant réclamé aux Dinantais certaine somme d’argent promise du chef de dettes contractées par son fils, l’évêque Jean de Flandre (le compromis du 1er septembre 1296 montre l’importance du corps de métier de la «batterie» puisque ses privilèges sont exclus de la discussion du compromis «Cartulaire de Bouvignes»); de nouveaux conflits entre Bouvignes et Dinant du 2 novembre 1319 au 4 août 1321.

Petit détour du côté du comté de Namur.

Il semble bien que, peu après l'avènement du prince-évêque Jean de Heynsbergh en 1419, des actes de violence aient été commis par les Namurois sur les terres liégeoises. La situation s'aggravant, le comte de Namur, mis en mauvaise posture par l'attitude de ses sujets et désireux d'éviter l'envahissement de son comté, préféra composer avec son voisin et régler le conflit par voie d'arbitrage.

Armoiries du Comté de Namur (XIIème siècle - 1795)

Il fut décidé, le 24 juillet 1420, que ce serait l'évêque, assisté des magistrats des villes de Liège et de Huy qui rendrait sentence sur tous les points litigieux. Le 31 décembre 1420, l'évêque et ses deux "bonnes villes" condamnèrent Jean III à payer la somme de 21.000 florins d'or. Or sur ces entre-faites, Jean III, dont la situation financière était très difficile, avait réuni les états de son comté afin d'obtenir leur aide, mais en vain. A bout de ressources, et sans héritier, il en avait été réduit à vendre son comté au duc de Bourgogne, Philippe le Bon, pour la somme de 132.000 couronnes, sous réserve d'usufruit viager (14 décembre 1420). Il put donc payer son amende à l'évêque et en obtint quittance le 25 janvier 1422.

Le pardon lui fut accordé le 20 mai 1422, ainsi qu'à ses sujets. Comme convenu dans le pacte conclu avec Philippe le Bon, Jean II, comte de Namur conserva l'usufruit de son comté jusqu'à sa mort qui survint le 1er mars 1429. Dès cette date, le comté de Namur devint possession pleine et entière de la maison des ducs de Bourgogne.

Croix de Bourgogne

Le comté de Namur devient donc un fief du duc de Bourgogne. Pour se venger de la démolition de la tour Montorgueil, imposée par Philippe le Bon, duc de Bourgogne et des Pays-Bas bourguignons, à Jean de Heinsberg, prince-évêque de Liège, les Dinantais - auxquels le duc de Bourgogne reprochait nombre d'incursions dans le comté de Namur - allèrent invectiver le comte de Charolais, fils et héritier de Philippe le Bon, jusque sous les murs du château de Bouvignes. Les Dinantais avaient, de plus, eu l'audace de se mettre du côté des Liégeois lorsque ceux-ci chassèrent l'évêque Louis de Bourbon, cousin du Téméraire, que ce dernier cherchait à maintenir dans ses prérogatives envers et contre la population liégeoise qui ne manqua pas de se révolter à nouveau l'année suivante.

La vengeance fut terrible. Pour laver ces affronts, Charles le Téméraire en personne, à la tête d’une armée de trente mille hommes, vint mettre en août 1466, le siège devant Dinant. Le Téméraire, précédé de son grand étendard noir, lança ses troupes sur la ville et contraignit les habitants à capituler. La ville fut mise à sac puis incendiée. Huit cents Dinantais, liés deux par deux, furent précipités du haut du pont dans la Meuse et noyés. Ce qui restait de l’opulente cité fut complètement rasé. Le château-fort, l’enceinte, les églises, les maisons ne furent bientôt plus que des ruines : Dinant devint un vaste désert. Deux ans plus tard, en 1468, Liège, la ville principautaire elle-même, connaîtra pillages et exécutions après que ses troupes ont été battues à Brustem l'année précédente par les armées bourguignonnes. La ville sera incendiée. Le pouvoir des ducs de Bourgogne est alors à son sommet.

Charles le Téméraire - "Pacificateur" de Dinant

Ce n'est qu’en 1472 que Louis de Bourbon, prince-évêque de Liège remis sur le trône par les armées de Charles le Téméraire, autorisât les chanoines de la collégiale, réfugiés à Huy, à reconstruire l’église et quelques maisons pour se loger. La reconstruction de la citadelle, cependant, n'est véritablement entreprise qu'à partir de 1523, sous le règne de Erard (ou Evrard) de la Marck (1472-1538), cardinal de Bouillon et trente-neuvième prince-évêque de Liège, dont la période de pouvoir est considérée comme la plus faste de l'histoire de la Principauté de Liège. Depuis lors, l’histoire de la citadelle est étroitement liée à celle de la cité.

File:Erard-de-la-Mark.jpg
Erard de la Marck (1472-1538) - Prince-évêque de Liège (1505-1538) – Auteur inconnu..
Le château se compose de logements pour une garnison de 500 hommes et leurs officiers, une chapelle consacrée à Saint Jean, un donjon et une enceinte faite de courtines et de nombreuses tours et demi-tours rondes. Les habitations sont spacieuses et décorées avec recherche et les communs agrandis permettent une certaine vie sociale.

En 1554, à l'occasion de l'un des innombrables épisodes de la longue guerre que se livraient la France des Valois et l'Espagne des Habsbourg, les troupes du duc de Nevers, envoyées par le roi de France Henri II, vinrent assiéger et prendre la ville qui à peine reconstruite, fut détruite à nouveau. Mais c'était sans compter la légendaire obstination des Dinantais. Ils parvinrent, à force de persévérance, à réédifier leur cité. Certes, ce n’était plus la fière et riche ville de marchands du début du XVème siècle, mais elle connut cependant une nouvelle période de paix et de prospérité.

En 1636, cependant, un vent d'appréhension souffla sur la région de Dinant avec l'arrivée à Anseremme des troupes de François de Lorraine. C'était la guerre de Trente Ans, qui après avoir mis l'Europe centrale et occidentale à feu et à sang s'invitait dans nos régions. Les gouvernants de l'époque furent ainsi amenés à renforcer les villes frontalières dont Dinant faisait partie. La citadelle fut restaurée et dotée de deux ponts-levis, une demi-lune renforça la porte principale et de nombreuses palissades furent érigées au pied des remparts. La place fortifiée couvrait à l'époque une étendue de terrain beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. Elle se composait du château proprement dit - dont la superficie correspondait à celle du fort actuel - et de constructions défensives importantes sur le plateau. Le saillant le plus éloigné se trouvait à 225 mètres de l’entrée du château. Un rempart descendait en ligne droite vers la route de Ciney.

Lors des campagnes de la guerre de Hollande, le 19 mai 1675, Louis XIV vint, à son tour, assiéger et prendre Dinant. On dit que pour livrer passage à son armée il fit percer la roche qui barrait la route sur la rive droite du fleuve et réalisa ainsi, sans le vouloir cette merveille qu’est la roche à Bayard. Mme de Maintenon accompagnait le Roi-Soleil et visita le château. Elle parle dans une de ses lettres de quatre cent degrés qu’il fallait gravir pour y accéder. Les Français apportèrent d’importantes modifications aux défenses de la citadelle, sous l'égide de Jean-Sébastien Vauban lui-même, qui intégra la citadelle de Dinant, avec notamment celles de Huy et de Namur, à l'ensemble des fortifications défensives destinées à cadenasser les accès au royaume de France par le Nord.

Armoiries des rois de France.
Après la signature du traité de Ryswick en 1697, qui mit un terme aux hostilités entre la France et la Ligue d'Augsbourg, Louis XIV dut rendre une partie des territoires qu'il avait jadis annexés à la France. C'est ainsi que Dinant fut restituée à la Principauté de Liège. En 1703, conformément aux dispositions du traité de Ryswick, les troupes françaises démantelèrent tous les ouvrages de défense qu'ils avaient édifiés et abandonnèrent la citadelle. Les Français laissent donc derrière eux une ville ruinée à l'activité économique condamnée pour longtemps. Le XVIIIème siècle marque la complète décadence de la jolie petite ville mosane. Le 20 juin 1815, après la défaite de Waterloo, c’est de Dinant que le général Grouchy signe son rapport à l’Empereur.


En 1818, après le retour de nos régions à la Hollande tel que prévu par les dispositions du Congrès de Vienne, la citadelle de Dinant fut occupée par une garnison hollandaise qui y construit les bâtiments de la citadelle qui existent encore de nos jours. Les travaux furent dirigés par le capitaine-ingénieur E. Bergsma – qui s'inspira des conceptions de Montalembert et des recherches menées par les ingénieurs de Napoléon - et terminés en 1820 ainsi que l’atteste une inscription gravée au-dessus de la porte d’entrée. Les fortifications dinantaises deviendront, dès lors, un maillon essentiel de la «ceinture mosane» avec les citadelles de Namur, Huy et Liège.

Bien que profitant des fondations de l'ancienne citadelle, les nouvelles fortifications tiennent compte de toutes les contraintes liées à l'utilisation de l'artillerie moderne et son architecture est, de ce fait, adaptée aux nouveaux armements. En septembre 1830, quelques patriotes résolus s’emparèrent du fort et mirent la garnison hollandaise en déroute. En 1853, le fort fut déclassé et abrita, pendant plusieurs années, une compagnie disciplinaire de la jeune armée belge. En 1878, le 11 novembre exactement, la citadelle est vendue.

Penchée sur le calme paysage de la Meuse dinantaise, la citadelle pouvait croire que sa carrière militaire avait pris fin .. Hélas ! Deux fois au cours du XXème siècle, en 1914 puis en 1944, elle devint le centre de combats acharnés.

Vingtième siècle.

En cette année de commémoration du centième anniversaire du déclenchement de la Première Guerre Mondiale, il est ici utile de rappeler les événements qui se produisirent à la Citadelle de Dinant, et autour de celle-ci, en août 1914.

L'édifice et ses environs firent en effet l'objet de furieux combats dans les jours qui suivirent le début de la Première Guerre Mondiale entre les troupes d'invasion allemandes et les régiments français accourus notamment de la région voisine de Givet pour s'emparer et contrôler les ponts sur la Meuse. Malheureusement pour elle, la ville de Dinant se trouvait sur l'axe principal de l'invasion allemande. Le 8 août 1914, les Français occupèrent les bâtiments du fort ; le 15 août, une lutte terrible qui dura de cinq heures du matin à midi, se déroula tant sur la rive gauche de la Meuse que sur les hauteurs de la citadelle, entre les éléments de plusieurs régiments français d’infanterie et une division de chasseurs saxons de l'armée impériale allemande.

La citadelle de Dinant vue de la gare - Photo : Erdan
Les Français, écrasés par le nombre, durent battre en retraite dans les galeries, où de sanglants corps à corps à la baïonnette se poursuivirent pendant plusieurs heures. Ce même 15 août vit dans l'après-midi, les troupes françaises se regrouper pour contre-attaquer en contournant les fortifications et en empruntant simultanément les 408 marches de l'escalier menant à la citadelle, reprendre celle-ci aux troupes saxonnes et arracher le drapeau impérial allemand qui y flottait depuis le matin. Les corps des victimes de ces combats furent brûlés à l’entrée de la citadelle et les cendres déposées dans une urne. Celle-ci fut enfermée, par la suite, dans un petit monument que l’on aperçoit, enfoui sous les frondaisons, dès que l’on a franchi la barbacane d'accès. Citons, parmi d'autres, la participation aux combats de Dinant de différentes unités des 8ème, 33ème, 73ème, 148ème et 273ème Régiments français d'Infanterie. 



Citadelle de Dinant - Panneau commémoratif des combats d'août 1914. 
Les troupes françaises tinrent la région pendant plusieurs jours avant de retraiter en direction de Onhaye et de Charleroi.

Notons également qu'un certain Charles de Gaulle, Lieutenant au 33ème Régiment d'Infanterie de son état – et qui fit le parcours et la carrière que l'on sait – fut blessé le 15 août 1914, sur la rive gauche de la Meuse, à l'entrée du pont qui enjambe le fleuve en contrebas de la Citadelle.

Charles de Gaulle (1890-1970) à l'aube de sa carrière militaire.
Suite à ces combats, l'Etat-Major de la IIIème armée allemande sous les ordres du général Max von Hausen, furieux de voir sa ruée vers la France ralentie et obsédé par l'idée de la présence éventuelle de francs-tireurs – la fameuse fausse croyance sincère - parmi la population dinantaise, ordonne à ses troupes de s'en prendre à celle-ci et d'incendier la localité. C'est ainsi qu'à partir du 23 août 1914, 674 personnes : hommes, femmes et enfants de tous âges seront passés par les armes par la soldatesque teutonique, tant à Dinant que dans les faubourgs de Leffe, de Rivages et de Neffe. La Collégiale et plus d'un millier d'habitations sont incendiées. La localité dinantaise est plongée dans un bain de sang et n'est plus que ruines, flammes et brasiers. Les mêmes événements se produisirent ailleurs dans les premières semaines du conflit tant en Wallonie (Tamines, Andenne, Visé) qu'en Flandre (Louvain, Aerschot) et jusque en France dans les départements du Nord, de la Meuse, des Ardennes et de Meurthe-et-Moselle.


Quelles que soient les explications et autres prétextes mis en avant pour tenter de «justifier» ces atrocités innommables, une des causes qui ressort d'une étude historique menée en 2001 par deux historiens irlandais, John Horne et Alan Kramer est, d'une part, que le haut commandement allemand, confondant allègrement neutralité belge et autorisation de passage, ne digéra que très mal le fait que le gouvernement belge s'opposât aux forces allemandes et fit donner son armée, et d'autre part, que ce même gouvernement belge permît aux armées françaises de contre-attaquer les armées allemandes sur le sol belge. La résistance inattendue de l'armée belge et notamment celle des forts de Liège - qui résistèrent plus de dix jours au lieu de trois, au plus, comme escompté par l'Etat-Major impérial – retarda considérablement les opérations allemandes et suscita de nombreuses craintes chez les généraux allemands de voir leur offensive sur Paris brisée nette. Ce qui, d'ailleurs, se produisit au début du mois de septembre lors du retournement et de la contre-attaque victorieuse des forces françaises sur les bords de la Marne.



Voici, d'autre part, ce qu'écrit le Kriegsgebrauch im Landkriege, (manuel de formation à l'usage des officiers des armées impériales) publié en 1902, dans lequel le Grand Etat-Major allemand formule le principe suivant (p. 115) : « Employer sans ménagement les moyens nécessaires de défense et d'intimidation n'est pas seulement un droit, mais un devoir pour tout chef d'armée». «Que des particuliers, dit le général von Hartmann, soient atteints durement, quand on fait sur eux un exemple destiné à servir d'avertissement, cela est assurément déplorable pour eux. Mais, pour la collectivité, c'est un bienfait salutaire que cette sévérité qui s'est exercée contre des particuliers. Quand la guerre nationale a éclaté, le terrorisme devient un principe militaire nécessaire». De la théorie à la pratique, il n'y a pas loin pour l'Allemand et voici ce que publiait le Kölnische Zeitung en date du 10 février 1915 (n° 146) : «Les innocents doivent pâtir avec les coupables ou, si ces derniers ne sont pas découverts, les innocents doivent expier pour les coupables, non parce qu'il y a eu crime mais pour empêcher les crimes à venir. L'incendie d'un village, l'exécution d'otages, la décimation de la population d'une commune dont les habitants ont pris les armes contre les troupes qui s'avançaient, tout cela constitue moins des actes de vengeance que des signaux d'avertissement pour les parties du territoire non encore occupées. Et ceci est hors de doute : c'est à la façon d'avertisseurs qu'ont agi les incendies de Battice, de Herve, de Louvain, de Dinant. Les destructions, les flots de sang des premiers jours de la guerre en Belgique, ont sauvé les pauvres villes de la tentation de s'attaquer aux faibles troupes que nous devions y laisser. Y a-t-il un homme au monde qui s'imagine que la capitale de la Belgique nous aurait tolérés, nous qui vivons aujourd'hui à Bruxelles comme dans notre propre pays, si l'on avait pas tremblé devant notre vengeance et si l'on ne tremblait pas encore ! ».

Nationalisme et militarisme forcenés, haine de la différence, air du temps, arrogance et sentiment d'impunité - la force dans ce qu'elle a de plus abject -, voilà les coupables premiers de ces dramatiques dérapages auxquels certains étourdis – et ils sont nombreux – ont encore l'inconscience de se référer. On ne peut que souhaiter que ce type de situation ne se produise plus, mais cela .... on l'a déjà fait, il y a 96 ans....  

En 2004, la République Fédérale allemande présenta ses excuses aux autorités de la ville de Dinant et à toute sa population pour les exactions commises par les troupes allemandes en août 1914.


Dinant - La citadelle rue du viaduc du pont Charlemagne - Photo : Erdan.















Illustration 7: Panneau commémoratif des combats d'août 1914.




Les Français, écrasés par le nombre, durent battre en retraite dans les galeries, où de sanglants corps à corps à la baïonnette se poursuivirent pendant plusieurs heures. Ce même 15 août vit dans l'après-midi, les troupes françaises se regrouper pour contre-attaquer en contournant les fortifications et en



Période bourguignonne : au XVème siècle, Dinant possédait douze églises paroissiales et sept abbayes. Enfermée dans une ceinture de murailles percée de huit portes et hérissée de tours, la ville, dominée par son château-fort, connaissait une prospérité inouïe. Ses fonderies de cuivre étaient en plein essor et occupaient huit mille ouvriers pour une population de près de 30 000 habitants, ce qui, pour l'époque, représentait une population considérable. Elle était la seule des villes belges de langue romane, à faire partie de la fameuse ligue hanséatique. Le comté de Namur était, depuis 1429, un fief du duc de Bourgogne. Pour se venger de la démolition de la tour Montorgueil, imposée par le duc de Bourgogne, les Dinantais allèrent s'en prendre au comte de Charolais, son fils et héritier, jusque sous les murs du château de Bouvignes.

La vengeance fut terrible. Pour laver cet affront, Charles le Téméraire en personne, à la tête d’une armée de trente mille hommes, vint mettre en août 1466, le siége devant Dinant. Le Téméraire, précédé de son grand étendard noir, contraignit les Dinantais à capituler après treize mois de siège. La ville fut mise à sac et incendiée. Huit cents Dinantais, liés deux par deux, furent précipités du haut du pont dans le fleuve et noyés. Ce qui restait de l’opulente cité fut complètement rasé. Le château-fort, l’enceinte, les églises, les maisons ne furent bientôt plus que des ruines : Dinant devint un vaste désert.

Si les armes sont devenues plus efficientes au cours des siècles, il semble bien que les méthodes de guerre n’ont guère changé. Le sac de Dinant est un acte de barbarie et de férocité qui entachât la mémoire de Charles le Téméraire, prince hautain et brutal. Onze ans plus tard, Nancy allait venger Dinant. C’est en effet, au cours du siège de cette ville que Le Téméraire trouva la mort. Son cadavre, à moitié dévoré par les loups, fut retrouvé dans la campagne environnante. 

Ce n'est qu’en 1472, cependant, que les chanoines de la collégiale de Dinant, réfugiés à Huy, obtinrent l’autorisation de reconstruire l’église et quelques maisons pour se loger.

En 1530, Evrard de la Marck, trente-neuvième évêque de Liège, reconstruisit le château. Depuis lors, l’histoire de la citadelle est intimement liée à celle de la cité.

En 1554, le duc de Nevers, envoyé par le roi de France Henri Il, vint assiéger et prendre la ville qui, à peine reconstruite, fut détruite à nouveau. Mais c'était sans compter la légendaire obstination des Dinantais. Ils ne se laissèrent pas abattre et parvinrent, à force de persévérance à réédifier leur cité. Certes, ce n’était plus la fière et riche ville de marchands du début du XVe siècle, mais elle connut cependant une nouvelle période de paix et de prospérité.

Le 19 mai 1675, Louis XIV vint, à son tour assiéger Dinant. On dit que pour livrer passage à son armée il fit percer la roche qui barrait la route sur la rive droite du fleuve et réalisa ainsi, sans le vouloir cette merveille qu’est la roche à Bayard. Mme de Maintenon accompagnait le Roi-Soleil et visita le château. Elle parle dans une de ses lettres, de quatre cent degrés qu’il fallait gravir pour y accéder.

Les Français apportèrent d’importantes modifications aux défenses de la citadelle. Celle-ci couvrait alors une étendue de terrain beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. 

Elle se composait du château proprement dit dont la superficie correspondait à celle du fort actuel, et de constructions défensives importantes sur le plateau. Le saillant le plus éloigné se trouvait à 225 mètres de l’entrée du château qui comprenait des casernes et une chapelle. Un rempart descendait en ligne droite vers la route de Ciney. Après la signature du traité de Ryswick en 1697, la citadelle, qui avait été assiégée dix-sept fois, fut démantelée.

Le XVIIIème siècle marque la complète décadence de la jolie petite ville mosane. Le 20 juin 1815 après la défaite de Waterloo, c’est de Dinant que le général Grouchy signe son rapport à l’Empereur. En 1818, le gouvernement des Pays-Bas fit construire les bâtiments de la citadelle qui existent encore de nos jours. Les travaux furent terminés en 1820 ainsi que l’atteste une inscription gravée au-dessus de la porte d’entrée.

En 1830, quelques patriotes résolus s’emparèrent du fort et mirent la garnison hollandaise en déroute. En 1853, le fort fut déclassé et abrita, pendant plusieurs années, une compagnie disciplinaire de la jeune armée belge.



Penchée sur le calme paysage de la Meuse dinantaise, la citadelle pouvait croire que sa carrière militaire avait pris fin ..

Hélas ! Deux fois au cours de ce siècle, en 1914 puis en 1944, elle devint le centre de combats acharnés. Le 8 août 1914, les Français occupèrent les bâtiments du fort ; le 15 août, une lutte terrible qui dura de cinq heures du matin à midi, se déroula entre deux compagnies du 33e régiment d’infanterie française et les éléments d’une division de chasseurs saxons de l'armée impériale allemande. Les Français, écrasés par le nombre, durent battre en retraite dans les galeries, où de sanglants corps à corps à la baïonnette se poursuivirent pendant plusieurs heures. Un épisode de ce fait d’armes a été reconstitué au moyen de mannequins à l’endroit même où une poignée de soldats français résistèrent jusqu’à la mort.
Les corps des victimes furent brûlés à l’entrée de la citadelle et les cendres déposées dans une urne. Celle-ci fut enfermée, par la suite, dans un petit monument que l’on aperçoit, enfoui sous les jeunes frondaisons, dès que l’on a franchi la barbacane d'accès.

De 1940 à 1944, la citadelle servit aux Allemands de dépôt de munitions. Au moment du passage d’importants convois militaires sur le pont de la Meuse, la « Flak » s’y installait. Lors de la libération de la Belgique, la citadelle était occupée par une compagnie d’infanterie de marine et par des S.S

Le lundi 4 septembre, les troupes américaines, arrivant par la route de Philippeville, installèrent quelques chars sur les plateaux de la rive droite et lancèrent des obus sur la citadelle, Le lendemain, ils faisaient intervenir leur artillerie lourde (155 long). Le bombardement de la citadelle, qui causa cent soixante-six brèches différentes dans l’ouvrage, continua jusqu’au mercredi 6 , dans la soirée. Le 7 septembre à l’aube, les premières troupes américaines franchissaient la Meuse et occupaient la citadelle sur laquelle fut hissé, à 7 heures du matin, le drapeau national.

Restaurée en un temps record, la citadelle, avec ses coins d’ombre, ses murailles qui semblent sortir du rocher, ses meurtrières qui emprisonnent une portion congrue mais lumineuse du splendide paysage de la vallée, avec son point de vue d’où l’on découvre l’un des plus beaux panoramas du pays, avec ses dioramas qui évoquent l’histoire de la ville, est devenue le grand
centre de ralliement des touristes.















jeudi 27 mars 2014

Bernache du Canada – Branta Canadensis.

Ordres des Ansériformes.
Famille des Anatidés.

Nom usuel ou vernaculaire : Bernache du Canada en Europe, outarde ou oie sauvage au Québec.


La bernache du Canada dans toute sa splendeur - Photo : Erdan
Observations et petite synthèse de la littérature existante.
Espèce d'oie originaire d'Amérique du Nord introduite en Europe à ne pas confondre avec la Bernache nonnette à la taille nettement plus petite, au dessin blanc différent sur la tête, au dessus gris foncé et au dessous blanchâtre. Parmi les bernaches, la Canada est la plus grosse espèce représentée en Europe. Elle mesure environ 1 mètre, présente un corps gris-brun et une gorge et des joues blanches. Le bec et les pattes sont noires. C'est une espèce d'oiseau aquatique introduite en Angleterre dès le XVIIème siècle comme oiseau d'agrément. C'est ensuite à des fins cynégétiques que s'est poursuivie son introduction à travers toute la Grande-Bretagne, puis dans de nombreux pays d'Europe tout au long du XXème siècle.
Haute Meuse dinantaise - Couple de bernaches du Canada - Photo : Erdan
Habitat et migration.

Les zones humides constituent les habitats de cette bernache d'origine allochtone. La bernache du Canada vit dans les zones herbeuses, les paysages variés et la toundra arctique. En période hivernale, elle se mêle à des troupes d'autres bernaches comme la bernache nonnette. Une partie de la population scandinave est migratrice. Les aires d'hivernage sont situées en Allemagne, en Pologne et au Danemark.

Les populations nicheuses françaises se situent surtout dans le Nord de la France. Elles sont également très abondantes en Belgique où on peut régulièrement les observer dans les prairies et le long des cours d'eau bien dégagés. Beaucoup d'individus se sont sédentarisés. Lors de la migration, la bernache du Canada vole en grands groupes en forme de V, ou diagonalement, mais en ligne droite. Elle est généralement bruyante en vol. 

Régime alimentaire.

Le régime de la bernache du Canada est végétarien : elle se nourrit principalement d'une grande variété d'herbes, de plantes aquatiques, de laiches, de graines de céréales, de graminées et de baies. A l'instar de ses cousins les canards, la bernache du Canada appartient à l'espèce des oiseaux dits «barboteurs». On peut, en effet, fréquemment les observer le croupion à l'air et la tête sous l'eau en quête de nourriture.

Chant.

La bernache du Canada est très bruyante, spécialement en vol. Elle peut émettre au moins une dizaine de cris différents.




Nidification et reproduction.

Les bernaches du Canada se trouvent un compagnon ou une compagne (pour s’accoupler) au cours de la deuxième année de sa vie.

Elles construisent souvent leur nid sur le sol, près de l'eau, de préférence sur un îlot (exemple : l'île de Moniat dans la Haute Meuse dinantaise). Il est fait d'une couche plus ou moins épaisse de brindilles et d'autres matières végétales trouvées dans les environs et il est aussi tapissé de duvet. La couvée compte habituellement de cinq à sept œufs, les oiseaux plus âgés ont une couvée plus importante que ceux qui pondent pour la première fois.

La femelle couve ses œufs de 25 à 28 jours, tandis que son compagnon assure la garde à proximité. Parfois, le mâle se tient à plusieurs centaines de mètres du nid, mais il est toujours vigilant et retourne au nid dès que celui-ci est menacé ou si la femelle doit s’en éloigner. Pendant la période de couvaison, la femelle ne quitte le nid chaque jour que pendant de brefs moments, pour aller se nourrir, boire et se laver.

Peu de temps après l’éclosion des œufs, les familles quittent leur nid et parcourent parfois plusieurs kilomètres en quelques jours en marchant pour atteindre leur site d’élevage des couvées. Dès qu’ils quittent le nid, les oisons se nourrissent de graminée et de carex (plantes croissant dans les lieux humides) dans les prés et le long des rivages. Six à neuf semaines après l’éclosion, selon les cas, les oiseaux seront prêts à s’envoler en famille. À ce moment-là, il n'y aura environ que la moitié des oisons qui auront survécu. Un couple de bernaches restera ensemble pour la vie. Cependant, contrairement à la croyance populaire, si un des partenaires est tué, il est possible que l’autre se trouve un nouveau compagnon. En automne, les oiseaux juvéniles volent avec leurs parents et ne s'en séparent qu'à leur retour dans la zone de nidification, le printemps suivant.

Dangers et menaces auxquels est soumise la bernache du Canada : 

«Branta canadensis» est la bernache la plus abondante au monde. Les populations férales (*) européennes proviennent de l'introduction à titre esthétique en Grand-Bretagne au XVIIIe siècle et cynégétique en Suède dans la première moitié du XXème siècle. Il n'y a pas de menaces particulières sur l'espèce qui est en expansion sur le continent.

Plusieurs animaux font des œufs et des jeunes bernaches leurs proies. Dans le Grand Nord, le principal prédateur est le renard arctique. Il peut voler tous les œufs de plusieurs nids et les cacher pour les manger en période de disette. Les mouettes et les goélands, les labbes, les renards roux, les corbeaux et parfois les ours sont aussi des prédateurs. La bernache du Canada produit des sons en ê-haouc.


Haute Meuse dinantaise - Bernaches du Canada à la parade - Photo : Erdan
Le revers de la médaille ou le moins bon côté des choses....

Espèces férales - petit rappel.

On désigne sous le nom d'espèces férales, des espèces animales étrangères qui, après s'être échappées des parcs ou des cages par lesquels elles avaient été introduites, se sont acclimatées et se reproduisent sur leur nouveau territoire. Pour les oiseaux on peut citer la Bernache du Canada et la Bernache nonnette, l'érismature rousse.... La présence de ces espèces pose rapidement divers problèmes, le plus souvent parce que ces espèces entrent en compétition pour des niches occupées dans un premier temps par des espèces indigènes. En Scandinavie, par exemple, la bernache du Canada pose problème au regard des oies cendrées. Quelques fois, l'éradication de certaines espèces est décidée, compte tenu des conséquences importantes sur les écosystèmes et les biotopes des espèces locales.

Citons, outre la bernache du Canada, quelques-unes des espèces férales d'oiseaux parmi les plus communément signalées : la Bernache nonnette originaire des régions de l'Arctique et l'érismature rousse, canard originaire de l'Ouest canadien et considéré comme invasif en Grande-Bretagne.


Espèce migratrice au sein de son aire d'origine, l'Amérique du Nord, la bernache du Canada est plutôt sédentaire en Europe. Sa longévité (jusque 24 ans), la très bonne réussite de sa reproduction, sa grande adaptabilité, la présence de biotopes favorables à son développement, ont contribué au succès de son implantation. À l'heure actuelle, sa population européenne est estimée à environ 160.000 individus dont environ 50 % en Grande-Bretagne. Sa reproduction est effective dans dix-sept pays (B, NL, L, F, D, IT, DK...) et sa population est en augmentation.



Sa présence a de nombreuses conséquences néfastes pour l'homme : pollution des eaux de baignade, réduction des productions fourragères, dégradation des prairies ou des espaces verts, transmission potentielle de maladies à l'homme, sécurité aérienne ou encore impact sur la flore et les autres espèces d'oiseaux (compétition avec les espèces autochtones, hybridations).


Le 15 janvier 2009, un vol de bernaches du Canada aurait heurté le vol 1549 de la compagnie US Airways, le contraignant à amerrir sur le fleuve Hudson sans, heureusement que l'on ait à déplorer de victimes. Ces oiseaux ont un poids situé entre 2,6 et 4,8 kilogrammes. Or les réacteurs de cet avion avaient été construits de manière à pouvoir résister à un choc direct avec un oiseau d'un poids maximal de 1,8 kilogramme.

Hudson River - 15 janvier 2009 
Dans les associations internationales comme l'EAWA (Accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie), elle figure en deuxième position dans la liste des espèces ayant le plus d'impacts sur le fonctionnement des écosystèmes en Europe, et pour le programme DAISIE (Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe) elle appartient à l'une des cent espèces (dans l'ensemble des espèces animales, végétales ou fongiques) réputées les plus préoccupantes d'un point de vue environnemental, sanitaire, social et économique en Europe.

Des campagnes de régulation et d'éradication ont été réalisées ces dernières années dans divers pays européens. En France, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), les Fédérations départementales des chasseurs (FDC) et la Fédération nationale des chasseurs (FNC) s'impliquent depuis 2008 dans le suivi des espèces allochtones invasives et ont réalisé une enquête sur la population des Bernaches du Canada sur l'ensemble du territoire français. Des actions de régulation ont été entreprises dans certaines régions. L'article conclut que pour avoir un impact efficace sur la bernache, il est nécessaire d'avoir une approche stratégique globale, portant à la fois sur la maîtrise de la dispersion des populations et sur l'éradication des noyaux reproducteurs. L'article préconise un choix adapté de plusieurs méthodes combinées en fonction de la situation. [N.P.]

En France, La Bernache du Canada est classée nuisible selon l'arrêté du 8 juillet 2013 (JO du 14 juillet) pour une période allant jusqu'au 30 juin 2014 et est désormais chassable du 15 août au 1er mars. .

Nous recommandons l'excellent site édité par la Région Wallonne à toutes personnes intéressées par ces matières : http//:biodiversité.wallonie.be. De l'info, des photos.... que du bonheur...


lundi 24 mars 2014

Val de Meuse - les ruines de Montaigle

Montaigle – Château fort.

Chronologie historique et petite synthèse de la littérature existante.

Epoques et occupation du site.

Situées dans la province de Namur, sur le territoire de l'actuelle commune de Onhaye, les ruines de la forteresse médiévale de Montaigle s'élèvent gaillardement au-dessus du confluent de la Molignée et du Flavion et semblent tout droit sorties d'une légende du Moyen-Age.


Les ruines du château  de Montaigle au début du printemps - Photo : Erdan
Fièrement dressé sur son éperon rocheux, surplombant les alentours et les deux rivières dont les eaux mêlées vont rejoindre celles de la Meuse en aval de la localité d'Anhée, l'ancien château fort ne manque ni de grandeur ni de beauté. La beauté du site, cependant, a probablement moins compté aux yeux des populations passées que les possibilités de défense naturelle qu'il proposait.

Les ruines de la forteresse médiévale occupent le sommet d'un massif calcaire orienté d'est en ouest. Des découvertes archéologiques faites sur place attestent de la présence humaine sur le site dès l'âge de Fer soit cinq siècles avant notre ère. Le site connaît dès le Bas-Empire, une première fortification belgo-romaine de type éperon barré.

La forteresse médiévale proprement dite fut édifiée au début du XIVème siècle par Guy de Namur, de la famille Dampierre, régent de Flandre et l'une des figures marquantes de la célèbre bataille des Eperons d'Or (juillet 1302) que les Français appellent bataille de Courtrai.

Les recherches archéologiques menées sur le plateau de Montaigle par la Direction des Fouilles du Ministère de la Région wallonne en 1992 ont permis de mettre au jour quantité de céramiques de l'âge du Fer (vers 450 avant J.-C.). Mais c'est surtout à la fin de l'époque romaine que s'affirme la vocation défensive du site, lorsque les régions situées au nord de l'ancienne Gaule traversent une période de grande instabilité.

A partir du milieu du IIIème siècle, l'Empire romain traverse une crise profonde qui ébranle ses structures politiques, économiques et sociales. Les régions de l'actuelle Belgique sont de plus en plus convoitées par les Germains contenus depuis trois siècles de l'autre côté de la frontière naturelle du Rhin (le limes, voir encadré).

Face à cette menace de déstabilisation, l'administration romaine tente de réagir en organisant la défense du territoire. Vers les années 260, les armées installent à la hâte des postes de garnison dans tout le bassin mosan. Ces postes, qui tiennent parfois lieu de refuge pour les civils, sont établis le long des principales voies de communication et dans des vallées où se rencontrent des rochers du type de l'éperon barré.

C'est le cas de Montaigle. L'administration romaine y installe une petite garnison dont la présence n'est pas continue mais varie au gré de l'importance des menaces. Dès le début du IVe siècle, un mur d'enceinte, large de 2 mètres, délimite un espace de près de 3.400 m² au sommet du massif calcaire et à partir des années 370, un contingent important, composé surtout de volontaires originaires de Germanie (Lètes), occupe la forteresse avec femmes et enfants. Ils y vivent dans des cabanes en bois et torchis selon les coutumes de leur pays d'origine. Les plus habiles d'entre eux occupent leurs loisirs à fabriquer des boucles de ceinture, des poignées d'épée, des poinçons et d'autres accessoires que plusieurs campagnes de fouilles ont permis de mettre au jour.

Ce régime d'occupation militaire semble cesser peu après 450 et le site est alors abandonné pour quatre siècles ; un cimetière mérovingien datant des VIe-VIIe siècles découvert en 1886 à Foy, hameau tout proche, sur le versant nord de la Molignée, juste en face de Montaigle, semble indiquer un déplacement de l'habitat vers la vallée.

Quand Montaigle s'appelait Faing.

Vers 900, un château est érigé au sommet du puissant rocher. Il ne subsiste que quelques traces de cette construction initiale, dont un mur qui reprend le tracé d'un autre construit à l'époque gallo-romaine. Ceux qui l'occupent appartiennent vraisemblablement au proche entourage des premiers comtes de Namur ; ils assument en outre la charge d'avoués de l'abbaye bénédictine de Waulsort. Ce sont les seigneurs de Faing, dont le nom, apparu pour la première fois sur un document officiel en 1050, est aussi celui de la terre et du château de Montaigle jusqu'au début du XIVe siècle.

Au début du XIIe siècle la seigneurie, tombe en déshérence et Pierre de Courtenay, comte de Namur, la cède en fief à Gilles de Berlaymont. Celui-ci y fait bâtir une tour carrée, un donjon, à la pointe du rocher. L'espace fortifié se réduit alors à la moitié de ce qu'il était au Bas-Empire.

L'apanage d'un cadet de famille.

En 1298, Guy de Dampierre, comte de Flandre et marquis de Namur, rachète la terre de Faing et sa demeure castrale pour les céder en apanage à un fils cadet née d'un second mariage, Guy de Flandre appelé aussi Guy de Namur. Ce dernier y édifie un château dont on peut encore retrouver des vestiges dans les ruines actuelles.
Armoiries des comtes de Namur - IXème siècle - 1795

La nouvelle construction est avant tout conçue comme un lieu de résidence au centre d'un domaine foncier assez important ; son rôle militaire est secondaire, mais son aspect n'en demeure pas moins puissant. Elle se compose de trois parties distinctes. Au pied du château, dans la plaine : la basse-cour abritant granges, écuries et prairies; au sommet du rocher : le corps de logis, puissamment défendu par une tour ronde; à un niveau intermédiaire : la cour regroupant les communs et le puits.

Profond de 33 mètres, ce dernier capture une source qui sourd à faible distance du Flavion : tout le cuvelage intérieur en est maçonné; seul le fond est taillé dans la roche. Quant au château proprement dit, malgré la configuration irrégulière du terrain, il adopte un plan symétrique éprouvé sous Philippe-Auguste : toutes ses tours - ouvertes à la gorge et maintenues aux époques suivantes - sont placées à égale distance les unes des autres. C'est peut-être dans l'une de celles-ci que Guy de Namur installe la chapelle dont l'autorisation de fondation lui est accordée par une bulle du pape Clément V donnée à Carpentras le 6 juillet 1310.

L'Histoire garde le souvenir de ce Guy de Namur. Régent de Flandre pendant la captivité de son père, il fut l'un des organisateurs des "Mâtines de Bruges" contre les Français en 1302 et engagea, à ce titre, contre le puissant roi de France Philippe IV le Bel, la célèbre Bataille des Éperons d'Or, en juillet de la même année, épisode emblématique de la lutte de la Flandre pour son indépendance, que les Français appelèrent la Bataille de Courtrai. Deux jours après le combat, il désigne son chastel de Faing comme prison possible pour une douzaine de chevaliers français dont il s'est emparé en même temps que du château de Courtrai au terme de la bataille.


File:Battle of Courtrai2.jpg
Bataille des Eperons d'or - 11 juillet 1302 - Source : Anonyme
Le prince se fiança à Marguerite de Lorraine en mars 1311 mais décéda quelques mois plus tard sans qu'il puisse être établi que cette union fût jamais consommée. Quoiqu'il en soit, le contrat de mariage, conclu à Sierck-sur-Moselle, stipule que le douaire de la future épouse se trouve entre autres constitué du "chastel de Fainges, com dist de Montaigle" : c'est la plus ancienne mention qui établisse un lien entre Faing et Montaigle.

Le siège d'un bailliage. Au décès de Marguerite de Lorraine survenu à une date incertaine mais postérieure au 25 septembre 1349, Montaigle, est légué à Guillaume 1er et entre dès ce moment-là dans les possessions directes des comtes de Namur. C'est à cette époque que la forteresse devient le siège d'un bailliage, district administratif dont la gestion est confiée à de hauts fonctionnaires portant les titres de bailli, châtelain et chairier ou receveur.

Les aménagements apportés au château portent alors essentiellement sur l'extension de la cour avec la création d'une terrasse retenue par une nouvelle courtine ponctuée de 3 tours ouvertes à la gorge.

Les ruines de Montaigle sous les lumières du crépuscule - Photo : Erdan

Des remaniements en profondeur.

En 1421, désargenté et couvert de dettes, Jean III vend le comté de Namur à Philippe le Bon, duc de Bourgogne qui en prend possession huit ans plus tard. Jeanne d'Harcourt, la veuve de Guillaume II, avant-dernier représentant à Namur de la famille des Dampierre, est toutefois reconnue dans ses droits sur la terre de Montaigle jusqu'à sa mort survenue à Béthune en 1456.

Les transformations qui sont entreprises dans cette première moitié du XVème siècle changent radicalement la physionomie du château. Le caractère résidentiel est cette fois nettement affirmé au détriment de l'aspect défensif.

Montaigle s'embrase !

A la mort de Jeanne d'Harcourt, en 1456, la terre de Montaigle, nous l'avons noté, est entrée dans les possessions de la Maison de Bourgogne, comme l'avait déjà fait le reste du comté de Namur dès 1429. Le château n'est alors plus qu'une modeste forteresse confinée dans son rôle de chef-lieu de bailliage et gardée par une vingtaine d'hommes d'armes.

Sous Charles Quint, la frontière entre les Pays-Bas méridionaux et la France forme une zone névralgique, ce qui se traduit concrètement par une politique militaire ambitieuse. On assiste bientôt à la création de villes bastionnées. A cette ligne de défense, on essaie, autant que faire se peut, d'intégrer les anciens châteaux. Proches de Montaigle, ceux de Bouvignes, de Dinant, d'Agimont et de Château-Thierry sont progressivement adaptés pour pouvoir résister aux ravages occasionnés par une artillerie de plus en plus puissante et efficace. Montaigle échappe à ces adaptations. Seul un boulevard, ou plate-forme à canon, avait été établi au pied du château dans la seconde moitié du XVème siècle. La cause majeure du déclassement de la vieille forteresse tient dans sa position géographique : ne contrôlant aucune voie de passage stratégique sur la ligne de défense que Charles Quint tente de mettre en place, elle ne peut même pas servir d'appui aux châteaux mosans.

Château de Montaigle - Photo : Wiki - Jean-Pol Grandmont
Au commencement de l'été 1554, le roi de France Henri II, décidé à mener une opération dévastatrice dans le comté de Namur, emprunte la route de la Meuse. Semant la misère sur leur passage, ses troupes ne rencontrent aucune résistance sérieuse. Les places-fortes tombent les unes après les autres et les moins rapides à céder sont traitées avec la plus extrême rigueur. Il en est ainsi de Bouvignes et de bien d'autres lieux. Vers la mi-juillet, quelques soudards, placés sous les ordres de François de Clèves, duc de Nevers, sont chargés de la démolition "du Chasteau de Disnant et de tous les autres petits forts de l'environ". Montaigle fait partie du lot. Abandonnée par sa garnison qui a reçu l'ordre de se replier sur Namur, la vieille forteresse subit un pillage en règle et l'ardeur d'un incendie qui ne la détruit cependant pas complètement. En décidant de ne pas la reconstruire, les autorités confirment implicitement le peu d'intérêt stratégique qu'elle offre encore à leurs yeux...

Le retour de l'ancien portier est signalé en 1556 et l'année suivante, le receveur du bailliage paie un serrurier pour y placer un verrou. Des traces de réaménagements - nouveau dallage, four à chaux et four à pain notamment - ont été observés par endroits et divers objets des XVIe et XVIIe siècles sont exhumés. Parmi ceux-ci, citons deux belles assiettes en étain, des pièces de monnaie, de nombreux tessons de poterie et un fragment de péreau, sorte de bac en céramique dans lequel on faisait fondre la cire pour filer les bougies et dont la belle face est ornée du millésime 1612.

Les derniers siècles d'Ancien Régime.

D'un point de vue administratif, Montaigle reste toutefois le centre du bailliage du même nom jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Du moins officiellement puisque dans la pratique, le bailli tient désormais séance au village voisin de Falaën. Dans un des célèbres albums du duc de Croÿ exécutés autour de 1600, Adrien de Montigny représente la silhouette d'un édifice bel et bien ruiné et abandonné, mais les archives comme les investigations archéologiques témoignent cependant d'une réoccupation précaire de l'endroit.

Du domaine public à la propriété privée.

Le 1er octobre 1795, le territoire du comté de Namur est annexé à la France en même temps que celui des autres principautés formant ce que l'on a coutume d'appeler les Pays-Bas méridionaux. Héritière du gouvernement autrichien, la République française donne l'ancien domaine militaire de Montaigle en location à un cultivateur du hameau voisin avant de le vendre comme bien national à un bourgeois de Dinant qui le revend à son tour par lots successifs. Le 10 juillet 1827, les ruines et leur assise rocheuse échoient ainsi à Césaire Colette Flavie du Rot (1790-1865), veuve van den Bogaerde, une gantoise qui se fait construire un pavillon de style troubadour dans l'enceinte du vieux château et y séjourne plusieurs étés. Mais le voisinage, pour sa part, ne voit dans les ruines qu'une carrière commode ouverte à tous. Des matériaux y sont régulièrement prélevés pour être remployés dans la construction des habitations de la vallée. Lassée par tant de pillages que la Justice se montre incapable d'empêcher plus encore que de sanctionner, la propriétaire finit par se débarrasser de son bien au profit du comte de Beauffort, premier président de la Commission royale des Monuments (1854). Sa veuve en cède elle-même la propriété à Emmanuel del Marmol établi depuis peu dans le nouveau château de Montaigle, en compagnie de son frère cadet, Eugène, président de la Société archéologique de Namur (1865). Tous deux entreprennent un long et patient remembrement qui leur permet à peu de chose près de rassembler en une seule propriété le territoire de l'ancien domaine militaire. A l'heure actuelle, les Ruines sont toujours dans les mains de leur descendance.

L'époque romantique.

Amplifiée par les Anglais à l'époque romantique, la mode du tourisme amène quantité d'artistes et de poètes dans le vallon de Montaigle. Le caractère désolé et solitaire de la ruine convient bien à leurs âmes voyageuses et mélancoliques. Nombreux sont alors les peintres, les dessinateurs ou les graveurs qui représentent Montaigle dans l'une ou l'autre de leurs créations ; les gens de lettre ne manquent pas d'en décrire le charme sauvage en des pages mémorables, tandis que les pionniers de la photographie d'art déposent leurs lourdsappareils dans les prairies avoisinantes. L'époque romantique est aussi celui d'un engouement profond pour l'étude du passé. Des sociétés archéologiques se créent un peu partout et celle de Namur donne à Montaigle son archéologue et son historien : Alfred Bequet (1826-1912), président de la Société Archéologique de Namur et membre de la Société d'Anthropologie de Bruxelles. 

Ce dernier, né à Namur, fit ses études au collège de Rheims et suivit à Paris les cours d'égyptologie de Raoul-Rochette et de Frédéric Ozanam, qui eurent sur sa vocation une influence prépondérante. Becquet se spécialisa rapidement dans l'histoire de sa province natale. Il fît plusieurs voyages en Italie pour confronter les vestiges de la Rome antique avec ceux découverts dans le Namurois. Il consacra, par la suite, des études très fouillées dans tous les sens du terme à de nombreux sites archéologiques de la province de Namur et reconstitua l'histoire de plusieurs grandes demeures féodales, parmi lesquelles Samson, Waulsort, Poilvache et Montaigle. Il entreprend en effet d'écrire l'histoire de la forteresse et confie à Jean Godelaine (1839-1905), D'Jean d'au Montaigle comme on l'appelle dans le pays, le soin de fouiller, dans la vallée de la Molignée, plusieurs sites d'inhumation de l'époque gallo-romaine ou franque, avant qu'ils ne soient irrémédiablement perturbés par la construction de la voie ferrée reliant Yvoir à Tamines. Alfred Bequet est notamment l'auteur d'un livre consacré au château de Montaigle édité à Namur en 1901 par les éditions Westmael-Charlier.

L'accroissement du nombre de visiteurs du site de Montaigle, lié à la démocratisation des loisirs, entraîne dès la fin du siècle une modification dans la représentation et la description des ruines. Cartes postales et guides touristiques prennent le relais des tableaux, des lithographies et des pages d'anthologie de la période précédente, sans atténuer le caractère hautement romantique d'un site qui disparaît insensiblement sous la végétation...

Château de Montaigle : Bas des murailles et fondations de l'édifice - Photo : Erdan.
Conservation et entretien.

Dès 1965, préoccupés par l'état critique de ces beaux vestiges classés, des bénévoles ont offert leur aide au propriétaire afin de sauvegarder et de mettre en valeur les ruines et leur site exceptionnel : ainsi est née l'association "Les Amis de Montaigle" dont l'initiative a notamment abouti à la mise au point d'une nouvelle technique de consolidation recourant à la projection de micro-béton.

La conservation et la mise en valeur de ces ruines romantiques bénéficient entre autres de l'aide de la Région Wallonne. Les ruines de Montaigle sont inscrites sur la liste du Patrimoine de Wallonie.

Le Musée archéologique (maquettes, poteries, cuillères, dés à jouer, carreaux d'arbalète, etc...) illustre la vie quotidienne au Moyen Age.